lundi 10 septembre 2012

L'héritage d'Edgar Allan Poe : le policier fantastique 1/3

Si l'Ombre du mal de James McTeigue, sorti le 20 juin en France, n’a pas rencontré l’adhésion du public, il témoigne toutefois du lien étroit entre les genres policier et fantastique symbolisé par Edgar Allan Poe.
Dans ce film, l’écrivain est confronté à un double démoniaque qui s’inspire de ses écrits pour commettre des crimes abominables, Poe est donc amené à collaborer avec l’inspecteur chargé de l’enquête.
Edgar Allan Poe a ceci de particulier qu’il est considéré à la fois comme l’un des précurseurs du roman policier mais également du fantastique.
Héritier du roman gothique, il ajoute à ces écrits chargés de mystères un sens du suspense éprouvé.
Dans les œuvres actuelles qui insèrent une trame policière dans les littératures de l’imaginaire, on peut distinguer trois branches distinctes qui se caractérisent par l’éloignement progressif par rapport au genre fantastique au sens strict :
  • Le policier fantastique au sens strict du terme, à savoir l’irruption du surnaturel dans une intrigue policière.         
  • Les romans de fantasy urbaine influencés par le genre policier.    
  • Des enquêtes se déroulant dans un univers  d’heroic fantasy ou de science-fiction.

D’Edgar Allan Poe à Stephen King, les maîtres du policier fantastique.

Sans se perdre dans des définitions trop précises, on peut distinguer immédiatement le policier fantastique et le thriller fantastique, même s'il arrive que ces deux genres se rejoignent :
 - dans sa forme la plus courante, le roman policier se définit par l’enchainement d’un crime ou d’un délit et de l’enquête destinée à résoudre ladite affaire. Si ce crime implique l’intrusion du surnaturel en dernier recours, on peut parler de policier fantastique.
 
- même s'il est couramment associé au policier, le thriller est un genre à part entière dans lequel l’angoisse naît du fait que l’on suit tout ou partie du récit à travers les yeux  d’un personnage menacé par un danger, l’enquête policière à proprement parler passant alors au second plan. Lorsque ce genre se mâtine de fantastique, il se rapproche d’un autre genre, l’horreur, au point de s'y confondre parfois.

Simple facette du fantastique pour les Français, mais genre à part-entière pour les Anglo-saxons,  le policier fantastique a évolué au cours du 20ème siècle sous l’influence d'auteurs majeurs. Ainsi H. P. Lovecraft va emmener le genre à la lisière de la science-fiction avant que Richard Matheson ne remette le gothique au goût du jour en se rapprochant du roman policier, Stephen King se chargeant de faire la synthèse entre ces deux mouvements.

Au début des années 2000, une collection va mettre particulièrement en lumière ce genre : Thriller fantastique chez Fleuve noir. Actuellement épuisée, elle a contribué à promouvoir le genre, certes en le cantonnant à une image de roman de gare, et à faire découvrir ou redécouvrir en France un certains nombre d’auteurs anglo-saxons majeurs du genre.

Le policier fantastique étant relativement complexe et varié, nous allons l’illustrer par quelques exemples.
Les quelques ouvrages marquants parus ces dernières années s’inscrivent souvent dans une forme d’hommage aux précurseurs du genre. On peut ainsi citer :
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Drood de Dan Simmons (édité par Laffont, en 2011) met en scène William Wilkie Collins et Charles Dickens enquêtant sur un mystérieux personnage.
- Dans Le fantôme de Baker Street de Fabrice Bourland (édité par 10-18 en 2008), Andrew Singleton et James Trelawney assistent la veuve d’Arthur Conan Doyle, confrontée à la réapparition de son esprit lors d’une séance de spiritisme.
- Les œuvres de Gérard Dôle (éditées par Terre de brume) s’inscrivent parfaitement dans cette lignée puisque l’auteur ressuscite les personnages de Sherlock Holmes, du chevalier Dupin créé par Edgar Allan Poe ou d’Harry Dickson recréé par Jean Ray pour leur faire mener des enquêtes teintées de fantastique dans les romans suivants : Monstres sur la Tamise, Les ogres de Montfaucon et Le diable de Pimlico

Dans cette veine du policier fantastique, on peut également citer l’auteur japonais Kōji Suzuki dont l’œuvre la plus célèbre Ring (qui n'est plus édité) est conçue comme un roman policier, même si ses deux adaptations cinématographiques sont plutôt proches de l’horreur.

Si les Anglo-saxons font de l’horreur un genre à part-entière, c’est en partie lié au fait que le surnaturel y est admis plus rapidement par les personnages. Ainsi l’angoisse naît du fait que les personnages se savent menacés par un danger réel, aussi improbable leur semble-t-il, plutôt que par une menace sortie de leur imagination. Le thriller fantastique, qui peut être considéré comme un sous-genre de l’horreur, présente donc les mêmes caractéristiques, mais la dimension enquête y est plus marquée. On le constatera avec les quelques exemples suivants :

 - A tout seigneur tout honneur, commençons par Stephen King qui, associé à Peter Straub, nous offre avec  Territoires (édité par Laffont, en 2002) l’un de ses romans qui se rapproche le plus du roman policier tout en enrichissant l’univers de La tour sombre.

 - Peter Straub remportera consécutivement le Prix Bram Stoker en 2003 et 2004 pour ses romans Les enfants perdus et Le cabinet noir (qui ne sont plus édités) dans lesquels on suit les investigations de Timothy Underhill, écrivain confronté à des événements surnaturels.

 - Dans Le visage de l'ange (édité par LGF en 2008) de Dean Koontz, un ancien policier est chargé de protéger une star de cinéma de la menace d’un revenant.


 - Si ces trois auteurs représentent une forme d’âge d’or du genre, l’avenir est peut-être incarné par Joe Hill qui, avec Cornes (édité par Lattés en 2011), renouvelle le mythe du pacte avec le diable.

Un auteur fait plus particulièrement le lien entre le thriller fantastique et la fantasy urbaine (sujet de l'article du 14 septembre prochain), il s’agit de Graham Masterton, dont Bragelonne réédite les œuvres. Si Manitou, son titre le plus connu, appartient clairement au genre horreur, deux de ses romans, Le diable en gris et La cinquième sorcière, mettent en scène des personnages de détectives. Mais, si le premier est confronté à une série de crimes en apparence impossibles, le second vit dans une réalité dans laquelle la magie est la norme, ce qui est l’une des caractéristiques de la fantasy urbaine.

(suite le 12 septembre)

Damien Moutaux (Médiathèque La Corderie - Marcq-en-Baroeul)

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